atelier Ligtpainting avec  la MPT salle des rancy

Responsable  Victor Marteau

 Conditions climatiques

    L’idiot de mon village se retrouvait souvent sur le lopin de terre que la commune lui avait concédé, afin qu’il ne soit pas sans arrêt à semer le trouble sur la voie publique. La végétation y était chatoyante et variée, bien que nul n’ait jamais vu l’idiot du village semer aucune graine ni planter bulbe ou tubercule. Un jour, n’y tenant plus, j’interrompis le tête-à-tête du jardinier et du coquelicot.

-       -  Vous allez sans doute répondre tout de travers, monsieur l’idiot, mais je suis curieux de savoir quelque chose.

-         - Ce petit monsieur est curieux, traduisit l’idiot du village à l’intention du coquelicot. Mais que savons-nous vraiment, toi et moi ?

Je fis comme s’il s’adressait à moi :

-        - Rien, rien du tout. Voici la chose : votre jardin est vraiment luxuriant et cependant nul ne vous a jamais vu rien mettre en terre…

-         - Ah, le petit monsieur n’est pas gentil de me rappeler ma pauvre mère, étouffée par un petit pois ! Depuis, je n’enterre plus rien, surtout pas les papilionacées.

-        -  Voilà, voilà… Comment vous arrangez-vous pour entretenir une flore aussi diversifiée ? C’est ma question.

-         - Ah, le petit monsieur n’a pas la vue claire. Mon coquelicot vous dirait, dans sa langue verte, qu’il est un coquelicot, et c’est tout ! Mais à quoi sert le langage pour proférer de telles banalités, n’est-ce pas ? Entre nous, nous avons d’autres choses à fouetter, et mon coquelicot a renoncé au bavardage.

Il caressa affectueusement la corolle, avant de poursuivre :

-         - Diversifiée ! Cette pâquerette est une pâquerette, cette graminée est une graminée, cet héliotrope est un soleil et l’aubépine aussi, est unique en son genre. Attention où vous posez les pieds, petit monsieur, sur quelle promesse. Mais je veux bien, si vous êtes soigneux, vous faire la visite de mes terres. Passez le passage à niveau. (Oui, une barrière de passage à niveau tenait lieu d’entrée pour son lopin). Ici, j’ai remué le sol une nuit de grande tempête. Et ces roseaux ont pointé leur nez. Là, c’était la canicule : admirez ces primevères ! Ce coin-là, je l’ai remué lorsque le ciel était zébré d’éclairs sans que l’orage tonne : cette circonstance a convenu aux lupins que vous voyez… Ils se sont éveillés, comme la princesse sous le baiser. Le moment des plantes n’est qu’un moment propice. Vous aussi, je présume, vous attendez votre heure pour vous étirer le matin et vous exposer au grand jour ? À vrai dire, cher petit monsieur, qui n’en fait pas de même ? Et des fois, on ne se lève pas. Confidence pour confidence, puisque mon coquelicot ne peut m’entendre de là où nous sommes : je n’ai pas trouvé la condition climatique qui fera lever ma mère. (Nous étions auprès d’un terre-plein sur lequel rien ne poussait). J’ai beau remuer sa tombe en toutes saisons, sous toutes les latitudes, rien n’y fait, elle reste allongée et sans sève. Même le petit pois assassin refuse de germer ! Y croyez-vous ? J’aurais pourtant tant aimé l’égrener pour m’en faire un chapelet !

Et vous, que se passe-t-il quand on vous remue au bon moment ? Et qui récolte vos réponses ? Mais je ne pouvais plus arrêter l’idiot de mon village :

-       -   Ici, une jolie plante m’a demandé de l’embrasser, pour voir, et de la déflorer, pour connaître. Comment aurais-je pu m’y soustraire ? Comme un lierre rustique nous nous livrâmes à l’étreinte. Mais quand elle vit mon visage illuminé de plaisir, elle s’arracha brusquement de mon tronc, en répétant avec effroi : « Pas par une nuit de pleine lune ! » Et elle s’évanouit. Je crois bien qu’elle avait confondu ma figure avec la lune, car nous n’en étions qu’au premier quartier. Elle s’évanouit, monsieur, je veux dire qu’elle franchit le passage à niveau et que je ne la revis plus. Il restait une tache de sang sur une motte de terre, qui s’y dilua peu à peu. Je vous en prie, goûtez ces mûres : vous verrez la jolie plante telle que je vous vois.

Ces mûres étaient rouge carmin. Mes doigts tachés me gênèrent un instant. Ils s’étaient imprégnés d’une odeur intime. « Chut ! » fit l’idiot du village, en se glissant un auriculaire dans l’oreille et en clignant doucement des paupières.

Combor

Sème à tous vents !